Pourquoi les investisseurs ont-ils la dent si dure avec Apple ?

 Alors que les ventes d'iPod périclitent et que les craintes de récession vont bon train, les ventes de Mac sont excellentes et les experts estiment que la marque à la pomme ne risque pas le coup de froid.


Pourquoi les investisseurs ont-ils la dent si dure avec Apple ?


Habituellement, quand Apple annonce ses bénéfices, les investisseurs grisés se moquent doucement de la prudence excessive de ses prévisions avant d'acheter toujours plus de titres. Ils sont confiants : les nouveaux produits à venir, dont le secret est jalousement gardé, assureront la progression des ventes et des bénéfices. Pourtant, cette fois-ci, les investisseurs ne se sont guère réjouis des dernières prévisions d'Apple. Cela reflète l'humeur maussade que fait régner aujourd'hui à Wall Street la perspective d'une récession. Après que la société a annoncé des prévisions de bénéfices inférieures de 14 % aux estimations des analystes pour le premier trimestre 2008, le cours de l'action a chuté de 11 % pour atteindre 137,93 dollars (93,24 euros).


Pourtant, à y regarder de plus près, des signes non négligeables indiquent qu'Apple pourra non seulement encaisser la contraction économique actuelle, mais devrait même en ressortir plus forte que jamais. Tout d'abord, l'activité Mac se porte comme un charme. Bien sûr, l'entreprise a vendu moins d'iPods que prévu (à quelques millions près), mais les ventes de Mac sont montées en flèche, notamment celles de l'iMac de bureau, qui ont progressé de 53 % sur un marché en hausse de seulement 10 %. "Le Mac met le feu", explique Charles Wolf, analyste chez Needham & Co, qui note que 200 000 Mac supplémentaires ont été vendus en un trimestre durant lequel les ventes de Mac sont habituellement stables.


La vigueur de l'activité de fabrication d'ordinateurs personnels est une excellente nouvelle qui compense plus que largement les ventes décevantes d'iPods. Tout d'abord, le bénéfice de 500 dollars (338 euros) réalisé sur la vente d'un iMac à 1 500 dollars (1 014 euros) rend négligeable le profit de 140 dollars (94 euros) réalisé sur la vente d'un iPod Touch (en admettant que la profitabilité des deux produits soit proche de la marge brute générale d'Apple qui est de 34,7 %). Et d'après Danielle Levitas, analyste senior chez IDC, si Apple domine le marché mondial de lecteurs MP3, d'une valeur de 28 milliards de dollars (18,9 milliards d'euros), elle représente seulement moins de 5 % de l'énorme marché des ordinateurs personnels de 258 milliards de dollars (174,4 milliards d'euros).


De plus, près de la moitié des 500 000 Mac vendus dans les magasins Apple au trimestre dernier ont été acquis par des personnes qui n'avaient jamais acheté de Mac auparavant. Très souvent, ces nouveaux acheteurs sont d'anciens adeptes du PC sous Windows. Et ce n'est pas une augmentation passagère, puisque l'expérience montre que la plupart des convertis au Mac sont susceptibles d'acheter d'autres produits compatibles, depuis des iPods à des boîtiers Apple-TV en passant par des iPhones. "Vendre un Mac est une des choses les plus difficiles à réaliser, car on demande au consommateur habitué à Windows de bouleverser ses habitudes, explique l'analyste Shaw Wu, d'American Technology Research. Mais une fois qu'ils ont franchi le pas, ils sont très fidèles à la marque."


Même les mauvaises nouvelles sont bonnes 


Les dirigeants d'Apple ne font pas mystère de leurs sentiments quant à l'avenir de l'entreprise. Durant une conférence téléphonique à destination des analystes et des actionnaires, le directeur financier du groupe, Peter Oppenheimer, a déclaré : "J'ai une confiance absolue en ce que nous faisons."


Les ventes décevantes d'iPods cachent également une bonne surprise. S'il est exact que les 22,1 millions d'unités vendues sont inférieures de 2 à 3 millions aux prévisions générales, Apple a cependant atteint le chiffre que M. Wu avait fixé pour la fameuse gamme de lecteurs MP3. C'est donc surtout le produit le moins cher et le moins rentable, l'iPod Shuffle, qui s'est mal vendu, explique M. Wu. Cela signifie qu'alors que les consommateurs choisissent habituellement le modèle le plus abordable en période d'incertitude économique, les consommateurs d'Apple sont bien conscients de la valeur des produits les plus à la mode et les plus coûteux. C'est une bonne nouvelle pour la stratégie iPod, qui a été pensée très soigneusement : on sort un gadget qui fait les gros titres et qu'on vend cher, et on passe les années suivantes à tirer profit de la demande en maintenant ce prix élevé pour les nouveaux modèles les plus sophistiqués, tout en sortant des articles moins coûteux pour atteindre les consommateurs moins fortunés.


Durant la conférence aux analystes, le directeur d'exploitation, Tim Cook, a insisté sur le désir de la marque à la pomme de faire de l'iPod non pas un simple lecteur de musique, comme l'iPod Shuffle, mais plutôt une "plate-forme mobile Wifi" pouvant également gérer différents formats vidéo. "Nous avons atteint et dépassé cet objectif, a déclaré Tim Cook. Le volume des ventes a peut-être un peu diminué, mais nous avons pris la bonne décision."


Des vers dans la pomme ?


Il ne fait aucun doute que certains produits d'Apple soulèvent des questions. Si les ventes de l'iPhone sont en général conformes aux attentes, l'appareil ne semble pas avoir suscité le même appétit insatiable que l'iPod il y a quelques années. Et la direction n'a pas dévoilé les chiffres des premières commandes du nouveau MacBook Air ni de la nouvelle version du boîtier Apple TV, tous deux présentés lors du salon MacWorld de San Francisco. Par le passé, il était arrivé que le groupe révèle ce genre de données.


Pour que la stratégie vidéo d'Apple prenne vraiment son envol, la société devra tenir sa promesse de développer une collection plus riche en films et programmes télévisés disponibles sur iTunes. Si l'entreprise est parvenue à dominer le marché de la musique, c'est en grande partie parce que des millions de personnes ont transféré tous leurs CD sur iTunes. Dans la mesure où les films et les programmes télévisés sont en grande partie protégés par des logiciels et des DVD qui limitent la reproduction, la stratégie d'Apple en matière de vidéo repose bien davantage sur la coopération avec les grands studios de cinéma.


Une affaire à ne rater sous aucun prétexte


Ces inquiétudes mises à part, personne ne remet en cause le fait que la marque continuera à sortir des produits innovants pour alimenter la demande des consommateurs. Ces derniers n'achèteront peut-être pas la version la plus récente de leur ordinateur ou iPod, mais ils pourraient sortir leur portefeuille pour acquérir un produit totalement différent. Un iMac pourvu d'un écran tactile semblable à celui de l'iPhone, par exemple, ou un iPhone qui fonctionnerait sur des réseaux cellulaires 3G plus rapides. Ces produits pourraient tous deux voir le jour au cours de l'année.


Tout cela signifie qu'Apple est probablement bien mieux préparé pour affronter une chute de l'activité économique que d'autres compagnies technologiques. Il est possible qu'en cas de récession sévère, de nombreux consommateurs repoussent leur achat du dernier iPod ou iPhone, mais les ventes de Mac devraient se maintenir. C'est ce qu'explique David Yoffie, professeur à Harvard : "Apple s'adresse à la partie du marché qui est la moins sensible aux prix. Si aucune entreprise n'est immunisée contre une récession, Apple est un peu moins vulnérable que les autres.


M. Wolf formule cela de manière différente : "Je pense que c'est une occasion d'achat tout bonnement incroyable. Ce n'est pas une action bon marché, mais elle permet d'acheter une part d'une entreprise qui peut croître de 25 % par an pendant on ne sait combien d'années, à 25 fois les profits. Pour moi, récession ou pas, c'est une affaire en or."